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11 juillet 2019 4 11 /07 /juillet /2019 06:28

Le problème avec la fête de la musique, c’est la musique. En baguenaudant au gré des rues de votre quartier, remontant telle avenue, glissant dans telle autre, vous voilà happé par quelques accords qui viennent titiller votre intelligence acoustique, et vous vous dites que oui, bien sûr, vous connaissez fatalement cet air. En plus, vous savez que vous l’adorez, c’est même une de vos chansons préférées. Quelle étrange sensation que celle d’un effacement culturel ! Quel effroyable désarroi celui qui vous isole dans votre incapacité à réanimer ce que vous connaissez. Il faut alors que survienne le refrain pour que s’évapore en vous cette impossibilité pré-alzheimerienne à reconnaître un standard mondialement révéré. Pendant un bref laps de temps, votre monde intérieur s’écroule, vous êtes groggy. Jusqu’à temps que vous reconnaissiez enfin ce bon vieux pote de « Paint it black » signé des Stones. Mais qui peut bien faire sonner ces quelques notes de musique de façon si appliquée, sans la moindre envie, sans l’esprit de révolte, sans la rage ni le désespoir ? Quel pseudo groupe peut s’en sortir de manière si scolaire sans être inquiété d’atteinte à la santé publique ? L’esprit rock ne peut être acquis. Vous pouvez tirer un trait sur les Stones, ce n’est pas grave. Il y a eu, il y a et il y aura. Mais effacer le rock, ça, c’est grave. Et c’est ce qui nous oppose avec Danny Boyle.

 

               Alors là, attention les petits gars, parce qu’aujourd’hui c’est du lourd, c’est du très lourd, c’est du cinq étoiles, c’est de l’oscarisé ! Mmmouais…

 

Dans les années 90, Danny Boyle a signé coup sur coup trois authentiques petits bijoux : SHALLOW GRAVE qui l’a révélé, TRAINSPOTTING qui l’a consacré, et A LIFE LESS ORDINARY qui l’a planté. Etoile montante du cinéma britannique, il était considéré comme un enfant terrible qui allait révolutionner ce cinéma qui s’essoufflait depuis quelques années, et ce malgré Ken Loach (je ne dirai pas de mal ici, mais je n’en pense pas moins). Eh oui, c’était drôlement bien les Danny Boyle de ces années-là ! Avec des scénarii complètement foufous, une mise en scène extrêmement inventive, des idées en voiture en voilà, on s’amusait comme des dingues dans son cinéma. Et en plus, c’était très populaire ! A LIFE LESS ORDINARY est probablement le plus créatif de tous, avec ses fourches scénaristiques, ses digressions virtuoses, son casting de malade mental avec des acteurs d’une force de proposition foisonnante etc. Malheureusement le film n’a même pas atteint 300 000 entrées chez nous. Par la suite, Boyle ne capitalisera plus sur cet élan créatif. Son cinéma se pose petit à petit, il accepte les compromis, il monnaie son statut, ce qu’il l’amène à diriger l’insupportable SLUMDOG MILLIONAIRE. Mais ne jetons pas les torchons et les serviettes avec l’eau du bain, il y a vraiment de très belles choses chez Boyle. Si j’étais un critique officiel payé pour écrire des inepties, je dirais que son 127 HOURS n’est pas l’œuvre d’un bras cassé ! Et puis son dernier opus, T2 TRAINSPOTTING valait bien mieux que tout ce que l’on a écrit dessus. Oui, c’est encore toi, ami critique, qui a descendu un film beau et désenchanté sous prétexte que ce n’était pas celui que tu attendais. Des fois, on se demande pourquoi les scénaristes ont des idées si tristes comme celle d’éradiquer les Beatles de la surface de la planète, alors qu’il y aurait des scénarii beaucoup plus drôles s’il s’agissait plutôt de la disparition de certains critiques, de Jean-Claude Juncker, des chroniqueurs de France Inter, des sachets à ouverture facile ou encore de La Poste à Paris Guy Môquet. Voyez comme le monde est bien plus heureux depuis la disparition de Georges Moustaki !

 

Malgré tout cela, non, ce sont les Beatles qui s’éclipsent dans YESTERDAY. On ne sait pas trop au nom de quel principe physique. Personnellement, je pencherais pour un excédent de pollution atmosphérique dans laquelle les Beatles se sont dissous. Et hop ! Voilà qu’en seulement quelques secondes toute l’histoire des Beatles s’est volatilisée et a disparu des mémoires de tout un chacun. Sauf que pour Himesh Patel, cela n’a pas marché. Pendant ces quelques secondes, il a eu un accident de vélo contre autobus, et il est rare, dans ces cas-là, que le deux-roues l’emporte. C’est d’autant plus stupide que tout le monde sait qu’en cas de pollution atmosphérique il faut s’enfermer chez soi, se mettre à quatre pattes sous une table et ne jamais prononcer le mot « jojoba », ce qui est relativement aisé mais peut tout de même survenir au moment où on s’y attend le moins, comme dans l’exemple ci-dessous :

 

- C’est quoi déjà le mot qu’il ne faut pas prononcer ?

- Jojoba !

- D’acc… Francis ?... Francis, t’es où ?

 

Himesh Patel, donc, n’a pas de chance. En tant que chanteur-compositeur, il n’a clairement pas le talent qu’il croit ou aimerait avoir. Et voilà maintenant qu’il n’entendra plus jamais une seule chanson des quatre garçons dans le vent. A moins que… Non mais, dites-donc, ça ne vous rappelle pas quelque chose ce synopsis ? Remplacez les Beatles par Johnny Hallyday et vous obtiendrez JEAN-PHILIPPE réalisé en 2006 par Laurent Tuel. Pas vraiment étonnant, finalement, pour un film qui parle de plagiat ! Non, ne soyons pas mauvaise langue, la ressemblance ne va pas plus loin. JEAN-PHILIPPE est un film d’une laideur très efficace où le principe est de redonner à Jean-Philippe Smet la vie qu’il n’a pas eue, à savoir celle de Johnny Hallyday. Vainement d’ailleurs, puisque la morale du film ne voit pas plus loin que la sentence très commune : « On n’échappe pas à son destin ». Tu vois le niveau ?

 

YESTERDAY, lui, est beaucoup plus immoral. Himesh Patel vient assez vite à bout des quelques scrupules qui l’enjoignent à ne pas faire siennes les chansons de nos petits scarabées. Mais bon, dans un monde qui ne connaît pas leur musique, quel mal y a-t-il à s’en attribuer le mérite ? La malhonnêteté n’est pas ce qui l’étouffe, chose qu’il n’assumera jamais. L’appel de la gloire et du succès étant plus forts pour lui que le grand amour. Mais ce n’est pas si simple et le prix à payer est énorme. Il doit composer avec cette escroquerie géante, et sa nouvelle vie de star l’éloigne de plus en plus de celui qu’il était avant toute cette affaire.

 

Eh bien, voilà qui est plus compliqué qu’il n’y paraît, les amis. Autant le concept est assez lumineux dans sa définition, autant les idées qu’il aborde sont plus nombreuses que nous aurions pu nous y attendre, jusqu’à gommer l’identité sous laquelle ce film se cache (et probablement pas si volontairement que cela). C’est ce que nous vous proposons de démêler.

 

               Avant que nous arrivions à déceler les véritables tenants et aboutissants de YESTERDAY, le film s’aventure dangereusement sur du balisé de chez balisé. Petite introduction en guise de présentation des personnages, l’environnement, la dimension familiale, la problématique carriériste etc. C’est ce qui se fait d’habitude, cela permet de lancer le postulat et de ne perdre personne en route. Pas de quoi s’emballer surtout qu’en termes de mise en scène c’est plutôt didactique et sans grandes envolées. Bref, nous sommes chez pépère qui a du savoir-faire mais qui ne force pas trop son talent. Et puis arrive le moment de l’accident. Si cela ce n’est pas du vu et du revu !... Enième variation sur le pauvre type qui subit un choc physique et qui, à son réveil, se retrouve complètement changé, ou dans la peau d’un autre ou dans une autre dimension en ce qui nous concerne. Grand classique des cours de récré qui se termine souvent en soignant le mal par le mal : on redonne un choc physique à la personne (souvent le même coup) et tout rentre dans l’ordre. Le problème c’est qu’il faut souvent attendre la fin du film pour que cette idée leur parvienne au cerveau. Et c’est souvent assez effroyable (LA VIE D’UNE AUTRE de Sylvie Testud, immonde bouffonnerie jamais drôle et jamais mise en scène).

 

Ici, le point de départ est plutôt attrayant : se réveiller dans un monde où les Beatles n’auraient jamais existé et s’approprier leur œuvre. Sur le papier, c’est plutôt amusant et prétexte à des scènes probablement drôles, si on excepte les passages obligés comme la découverte de leur non-existence.

 

D’abord, ce que fait Richard Curtis (qui est meilleur dialoguiste que scénariste : MAMMA MIA ! HERE WE GO AGAIN, WAR HORSE, BRIDGET JONES : THE EDGE OF REASON pour ce qu’il a fait de pire), c’est qu’il prend le contrepied de ce qu’il se fait en la matière. Habituellement, lors d’un voyage dans le temps, le moindre changement entraîne d’autres changements subséquents. Richard Curtis sait très bien de quoi il parle car il a déjà écrit et réalisé un film sur cet axiome tectonique : ABOUT TIME (tiens, du recyclage d’idée !) Un changement en entraîne un autre qui en entraîne un autre qui en entraîne un autre et cætera, et toute la planète peut ainsi être chamboulée tranquillement. C’est ce qui est énoncé dans des films comme BACK TO THE FUTURE, TERMINATOR, LOOPER, EDGE OF TOMORROW, LOS CRONOCRIMENES ou encore DONNIE DARKO. Et c’est ce que l’on appelle l’effet papillon. Il existe un film entièrement basé sur ce principe et qui se nomme étrangement THE BUTTERFLY EFFECT ! Une sorte de film à sketches qui exploitait bien toutes les ramifications possibles que chaque action pouvait impliquer. Du coup, on s’y amusait beaucoup. En comparaison, on ne s’amuse pas tant que ça dans YESTERDAY qui ne se passe pas dans un monde complètement transformé par la disparition d’un élément, mais dans un monde consubstantiel à celui que nous connaissons. En cela il reprend la théorie du mille-feuilles chère au JEAN-PHILIPPE de Laurent Tuel (divers mondes parallèles coexisteraient par superposition).

 

YESTERDAY est un film qui présente bien mais ses carences scénaristiques l’empêchent d’être aussi cinglé que l’est son point de départ. D’ordinaire, on fait les présentations, on annonce la couleur et après on a du fun. Là, c’est comme si le concept phagocytait tout développement un peu dingo, toute idée un peu foutraque. Le problème c’est qu’il n’est pas assez puissant pour porter tout le film. C’est pour cela qu’il est nécessaire de développer tout autour des nœuds qui le nourrissent, des situations qui le transcendent. Certes, quelques gags relèvent la sauce de temps à autre (la réplique sur la cocaïne est très drôle, écrite en seconde couche qui plus est, bien joué !) mais rien de bien extravagant. D’autant que le scénariste préfère faire l’impasse sur les clés de ce nouveau monde plutôt que d’y faire face d’un point de vue scénaristique. Je m’explique. Un nouveau monde, c’est comme une boîte de jeu. Il existe une notice explicative qui détaille point par point les règles. Dans un nouveau monde, c’est la même chose. Les règles sont des réponses aux questions que le spectateur se posent. Si le scénariste n’y répond pas, le spectateur peut avoir la sale impression de se faire flouer. Ce qui importe dans YESTERDAY c’est de savoir ce qui découle du fait que les Beatles n’existent pas. Même si l’effet papillon s’exerce à minima, il y a quand même pas mal de choses qui n’existent pas ou qui ne se sont pas passées de la même manière du fait de cette absence. Richard Curtis n’en mentionne qu’une seule, très logique (et très plaisante là aussi) pour reprendre le mot employé par le protagoniste. Or, même dans l’illogique il faut que tout soit logique. Un groupe aussi populaire et aussi influent a forcément eu de très larges conséquences sur de très nombreux domaines et sur toute la planète ; les répercussions sont innombrables. Il paraît donc difficile d’accepter que leur disparition ait aussi peu impacté notre monde. Mais pourquoi pas. Le kubrickien que je suis valide qu’au cinéma il n’existe pas de mauvaise idée. Alors, si tel est le parti pris du scénariste, son devoir est de nous expliquer pourquoi, pour que notre adhésion soit totale. Malheureusement, là-dessus le scénario est bien fainéant, nous laissant pour le moins dubitatifs et quelque peu frustrés. A ne pas être aussi regardant que cela le nécessite, ce postulat finit par ressembler plus à une blague entre copains qu’à une histoire aboutie et pleinement cohérente.

 

Et ce n’est pas Danny Boyle qui redressera la Tour de Pise, lui qui a toutes les peines du monde à insuffler un peu de folie dans la mise en scène. Le tout est plutôt agréable et se suit très bien, mais quel dommage que le gars Boyle n’utilise pas plus de leviers de mise en scène comme il le faisait dans ses premiers films ! Celui sur lequel il se repose le plus reste néanmoins le montage. Et encore ! Pas dans la lignée d’un Dziga Vertov ou d’un Sergi M. Eisenstein ! Boyle a confié cette étape de travail à Jon Harris, avec qui il travaille depuis 127 HOURS, et qui a aussi a son actif d’autres films d’actions tels que KICK-ASS, SNATCH, LAYER CAKE, excusez du peu. Sur YESTERDAY, son boulot consiste essentiellement à trouver la bonne durée des scènes, c’est-à-dire travailler sur le rythme et particulièrement sur le tempo comique. Et cela fonctionne plutôt bien. (Nous retiendrons la scène de marketing promotionnel où tous les assistants applaudissent en fin de phrase. Satire très drôle de ces commerciaux qui se prennent pour des artistes. A ce moment, Danny Boyle se sent très à l’aise, probablement parce qu’il sait de quoi il parle, lui qui a beaucoup côtoyé le monde des publicitaires. Dans toute sa filmographie, c’est toujours quand il est grinçant qu’il est le plus convaincant !) Le film progresse sans temps mort, avec l’aimable sensation d’un feel good movie pas trop mielleux (je rappelle à tous que « feel good movie » est une expression péjorative !)

 

Du coup, le parcours est fléché, le spectateur n’a qu’à suivre le sentier pour arriver à destination. Le film glisse paisiblement sur l’onde, sans véritable surprise, sans virage un peu serré. Prenons un exemple. Himesh Patel réalise qu’il est la seule personne à se souvenir des Beatles. Quand une personne se retrouve seule au monde dans un film, en fait elle n’est jamais seule. Elle rencontrera forcément quelqu’un à moment donné. Vous savez que cela va arriver. Et évidemment… cela arrive ! Là encore, Richard Curtis ne profite pas de cet apport scénaristique pour faire dévier l’histoire, pour lui donner un élan, un second souffle. Les deux personnes en question pourraient devenir l’ombre au tableau, l’enjeu d’un affrontement, une part un peu plus sombre de l’histoire, quitte à pousser le protagoniste un peu plus dans son immoralité. Non, il n’est pas question de cela. Leur motivation va dans le sens du personnage principal et même si Danny Boyle nous crée un petit suspense pour tenter de nous faire croire le contraire, tout cela n’est que pour faire la blague, celle dont nous parlions plus haut : la blague entre potes.

 

               Pour ne pas délivrer toutes les solutions dès le départ, le film est obligé d’user d’artifices un peu roublards mais qui vont finir par établir involontairement un édifice un peu bringuebalant. L’idée c’est de retarder au maximum tous les enjeux qui peuvent l’être. Nous venons de le voir avec l’apparition de ceux que nous appelons « les deux autres personnages », présentés depuis un moment, mais qui ne lèveront le voile du mystère que bien plus tard. Pareil pour la relation entre Himesh Patel et Lily James. Bon, là, très nettement, c’est une volonté scénaristique de n’aborder que très tard ce volet, car dès le début nous sentons bien qu’il se passe quelque chose entre eux. Le plus intéressant dans cette vision des choses, c’est de faire basculer petit à petit le véritable sujet du film, voire son genre puisqu’au fur et à mesure que cette relation s’étoffe YESTERDAY mute en comédie romantique. Ce qui permet à Richard Curtis de retomber sur ses pattes vu que c’est ce qu’il sait faire de mieux (NOTTING HILL, LOVE ACTUALLY). Habile.

 

Cet étrange partage des richesses est une voie inattendue. De prime abord, cela pourrait passer pour une ambivalence, une incapacité à choisir à quel sujet donner la priorité, voire une obligation de réponse au cahier des charges pour plaire au plus grand nombre. Même si tout cela est un petit peu vrai, cela a le grand avantage de faire dévier des univers pour montrer qu’ils se réajustent sans cesse, que chacune de nos actions décident de nos destins. C’est en cela que YESTERDAY s’éloigne farouchement de JEAN-PHILIPPE qui prétend que le destin est écrit : quoi que puisse tenter Fabrice Luchini, il arrivera toujours un événement qui fera que Jean-Philippe Smet n’est pas destiné à devenir Johnny Hallyday.

 

Ce genre de déraillement est aussi une liberté que peu de réalisateurs s’octroient et qui plombe terriblement la quasi-totalité des comédies françaises. Comme si une comédie ne devait jamais s’écarter du ressort comique. Encore une loi inscrite dans le marbre ! Permettons-nous une légère digression et développons, car cela n’a rien d’une idée théorique. Blake Edwards a fait cela dans toutes ses comédies, la comédie italienne aussi n’a fait que cela pendant des années, et pour être très concret, je vais vous citer un exemple français très récent. Je regardais il y a peu une comédie française sortie en début d’année. Un vaudeville nommé PREMIERES VACANCES qui se trouve être aussi le premier film d’un certain Patrick Cassir. Que du prometteur ! C’est l’histoire d’un couple qui part en vacances pour la première fois ensemble. Bon, je ne vous apprends rien, le titre spoilait déjà le film. La petite originalité vient du fait que l’homme et la femme partent sans se connaître vraiment puisqu’ils viennent de se rencontrer. Originalité toute relative puisque voilà repris le concept d’une comédie signée Judd Apatow en 2007 : KNOCKED UP, il suffit de changer la parentalité par les vacances pour faire du neuf avec vieux. Passons. On ne va pas chipoter, mettre deux personnes que tout oppose dans le même panier c’est vieux comme Libération. Dans PREMIERES VACANCES, nos compères vont de galère en galère et se retrouvent à moment donné paumés au milieu de Trouduculville. Ils finissent par trouver un véhicule qui les prend en stop. C’est une sorte de camionnette à l’arrière de laquelle se trouvent des locaux (nous sommes en pays étranger, avais-je oublié de préciser) qui discutent entre eux d’étrange manière. Ce qui attise la méfiance et la suspicion de notre duo. Alors que leurs craintes commencent à les terroriser, les locaux se mettent à leur parler, et d’un rire synchrone et complice leur annoncent qu’ils vont les violer. Je me suis dit l’espace d’un instant que le film allait enfin sortir des rails du déjà vu pour nous proposer une autre voie, pour explorer autre chose que la galéjade routinière dans laquelle il s’embourbait. Mais non ! Les locaux éclatèrent de rire, solutionnant la scène en avouant que c’était une blague ! Et voilà, comme nous l’avons dit plus haut, la comédie française ce n’est ni plus ni moins que des histoires de l’ordre de la blague. Et les types comme Benoît Forgeard qui proposent quelque chose de totalement opposé sont bien trop rares pour pouvoir changer la norme. Mais bon… « Pourquoi pas ? » me direz-vous. Après tout, une grande escroquerie est d’avoir convaincu les particuliers qu’ils étaient responsables du changement climatique !

 

Danny Boyle, lui, ne fait plus de proposition gratuite de ce genre. Et c’est bien dommage ! Ayant revu récemment A LIFE LESS ORDINARY, le gouffre qui sépare ces deux films nous apparaît comme une béance monumentale de l’ordre de la monstruosité. Il arrive souvent qu’une fois installés certains réalisateurs ne deviennent que le fantôme de ce qu’ils ont été (c’est tout aussi prégnant chez les comédiens). Le talent arrive à poindre de-ci de-là, mais une forme d’envie et d’énergie ont disparu. Le décalque de leur savoir-faire devient alors leur blason. Comme une Appellation d’Origine Contrôlée, un label somme toute. Un sceau qui servira à orner les affiches, s’ils se lancent dans la production. Les frères Coen ont leur label. Martin Scorsese aussi.

 

               Pour en revenir à YESTERDAY, son impossibilité à s’emballer vient d’un refus de s’immerger dans les turpitudes promises par la malhonnêteté, mais aussi de son impossibilité à se vautrer dans la décadence du monde des stars musicales. (Il n’y a qu’à regarder THE DIRT dans lequel Jeff Tremaine était fasciné par les ignominies commises par le groupe Môtley Crüe, pour comprendre jusqu’où peuvent aller quelques adolescents pas finauds qui héritent de l’argent et de la célébrité. Ou même dans COCKSUCKER BLUES, le documentaire pas si choc que cela, consacré aux Rolling Stones.)

 

Il y a deux causes à cela. D’abord, une volonté des auteurs d’aseptiser le propos, de le rendre politiquement correct, pour répondre à la logique du plus grand dénominateur commun. Quand vous optez pour ce système, vous êtes fatalement obligé à un moment ou à un autre de vous arranger avec votre conscience. C’est ce qui se produit notamment avec nos « deux autres personnages ». S’il est un court instant où nous pensons qu’une forme de justice rattrape Himesh Patel et qu’il va enfin devoir répondre de ses actes, le scénario se retourne subrepticement contre cet élan d’honnêteté, sous couvert d’un prétexte des plus fallacieux. Avons-nous raison de ne pas être à l’aise avec le plagiat éhonté d’Himesh Patel ? Qu’à cela ne tienne, Richard Curtis tient la solution pour éradiquer tout sentiment de culpabilité en nous. Comme je suis obligé de spoiler, je dois écrire en blanc : plutôt que de le mettre face à ses méfaits, les « deux autres personnages » le remercient d’avoir plagié les chansons des Beatles car, grâce à lui, ils vont enfin pouvoir entendre de nouveau ces tubes. Eux qui croyaient leur vie privée de sens s’ils ne pouvaient plus écouter les Beatles ! Autrement dit, le scénariste allège la conscience du spectateur sous l’argument spécieux qu’il a trompé tout le monde mais c’était pour la bonne cause !!! L’idée qui sous-tend ce développement serait qu’il est des personnes, des artistes trop importants pour que le monde s’en passe, et que certains sont si importants qu’ils sont nécessaires à la bonne marche du monde. Non seulement c’est faux mais, en plus, cet axiome est d’une bêtise ! S’il n’y avait pas eu les Beatles, il y aurait eu autre chose. D’ailleurs, le monde n’est fait que de cela, de personnes importantes, et très certainement aussi de groupes majeurs qui n’ont jamais existé, et le monde se passe très bien d’eux. Comment un scénariste peut-il passer à côté d’un tel truisme ? Bien entendu que l’effet de compensation joue son rôle, et nous y perdons parfois plus que nous y gagnons. Ces cas sont même proportionnellement beaucoup plus importants en nombre ! On peut comparer cela à la course à l’ovule, course qui fera un seul vainqueur pour des millions de laissés-pour-compte.

 

Bon, cette première piste vaut ce qu’elle vaut et rien n’empêche sa complémentarité avec la seconde : Himesh Patel ne se jette pas à corps perdu dans ce monde car il est tourmenté non pas par l’affaire du plagiat, mais bien plus par son changement d’identité, qui l’éloigne sans cesse de l’Himesh Patel qu’il était avant. Fascinante histoire de l’œuvre qui façonne l’artiste, qui le labellise, comme nous l’avons expliqué plus haut, et non le contraire. C’est à ce même titre que Sophia Di Martino dit qu’il est « son produit ». Bien sûr, ce qui est valable en temps gloire l’est tout autant en temps d’impopularité. C’est la grande découverte d’Himesh Patel, nous allons y revenir dans le dernier point que nous allons soulever. Avant cela, c’est ici qu’il faut souligner la composition d’Himesh Patel. Il revêt un rôle qui n’est pas écrit pour « ramasser », à cent lieues de la performance d’un Taron Egerton dans ROCKETMAN, par exemple. Le personnage de Jack Malik n’est pas de cette exubérance. Avant d’être reconnu, c’est un loser qui n’a pas grand talent ni grand charisme et qui n’est donc pas fait pour ce monde du show-business, malgré les étoiles qui lui brillent dans les yeux. Et c’est bien vu de tenir le personnage sur cette ligne grâce à un jeu très réservé, plein d’hébétude et tout en slow burn. Tout ce qui ne compose pas l’étoffe des héros. Va décrocher un oscar avec ça, gars ! A ses côtés, Lily James (déjà vue dans l’excellent BABY DRIVER notamment), s’en sort très bien dans le rôle d’une jeune fille qui retranscrit les mots d’amour qu’elle ne peut exprimer, par un trop plein d’énergie pétillante, en évitant le piège de l’hystérie hargneuse. Elle a de la chance d’avoir hérité du personnage le mieux écrit, ce qui lui permet de le faire joliment évoluer et de passer par une palette d’émotions très large. Elle est délicieuse et amène beaucoup de fraîcheur. A l’opposé, dans un personnage beaucoup plus détestable, Sophia Di Martino compose une manager arrogante et dangereuse avec une belle virtuosité. Elle joue beaucoup avec un regard qui allie envoutement et dureté. Elle flirte régulièrement avec la caricature sans pour autant sombrer dans l’inacceptable ni le ridicule, ce qui la rend supportable voire amusante. Je mettrais à part Joel Fry (qui joue pourtant parfaitement sa partition) qui ne symbolise que la vis comica des scénarii de Richard Curtis, c’est-à-dire l’élément polyvalent qui n’a pour fonction que de faire rire sans être partie prenante de l’histoire. Je vous laisse en déduire ce que je pense de ces manières de faire. Bref, ça s’investit pas mal du côté des comédiens pour nous faire passer la pilule. Sans que ce soit transcendant c’est tout à fait correct, et l’amour qu’ils portent à leur personnage est un allié solide de la sympathie que nous éprouvons à leur égard.

 

               Seulement le grand problème malgré tout cela c’est que le film fonctionne sans être complètement satisfaisant. Pour tout vous dire, ça sent un peu le renfermé. Par ses procédés vieillots, Richard Curtis livre un scénario qui sent terriblement la naphtaline. A commencer par la scène (trop longue) au cours de laquelle Himesh Patel tente d’interpréter « Let it be » au piano pour ses parents, alors qu’il est constamment interrompu. Tout comme le moment où intervient le changement primordial, ces quelques secondes pendant lesquelles les Beatles vont être effacés des mémoires collectives. Ici, Richard Curtis impose une scène pendant laquelle l’électricité est coupée sur la terre entière pendant 12 secondes. Et cela à priori sans aucune conséquence mondiale. C’est rapidement évacué, le temps de reprendre le cours normal de nos émissions. Passons, ce n’est pas cela qui retient notre attention, c’est le fait qu’il soit nécessaire de justifier la disparition des Beatles. Qui fait encore cela de nos jours ? C’était une norme il y a quelques années lorsqu’il était difficile de faire admettre qu’un élément fantastique puisse survenir de la manière la plus arbitraire possible dans la réalité la plus quotidienne qui soit. Et nous avions même droit à la fin à une explication logique, voire scientifiquement plausible. Mais aujourd’hui, ce n’est plus la peine. Des zombies peuvent très bien avoir envahir la planète sans la moindre raison apparente. On se réveille un matin, et hop, les zombies sont dans le jardin. Le spectateur accepte désormais beaucoup plus facilement ce genre d’événement imposé.

 

Alors pourquoi Danny Boyle choisit de garder ce procédé ? A bien y réfléchir, peut-être qu’il lui est nécessaire pour autre chose que celle à laquelle nous pensons être conviés. You know what I mean ? Et pourquoi n’y a-t-il pas d’explication à la fin, cette fois-ci ? Tout simplement parce qu’il n’y a rien à expliquer. Le monde n’a jamais changé. Les Beatles n’existaient pas avant (jamais il n’est fait référence à eux avant l’accident) et ils n’existent toujours pas après. Nous sommes déjà dans un monde parallèle lorsque le film s’ouvre. Les Beatles ne seraient alors que la parabole de l’artiste face à sa création. Une sorte de déification de l’œuvre pour justifier l’impossibilité pour l’artiste de croire qu’il soit à l’origine d’une œuvre aussi grandiose. On peut parler aussi d’humilité. Combien d’artistes clamaient que leurs créations n’étaient que l’œuvre de Dieu ? Si tout est inversé, le manque d’humilité d’Himesh Patel quand il essaie de convaincre les autres que les chansons qu’il a écrites sont des œuvres majeures pour l’humanité, prend désormais un tout autre sens. Et l’histoire ne devient autre que celle d’un musicien dont le manque de succès le pousse à croire qu’il n’a aucun talent (il essaie lui-même de convaincre Lily James lorsqu’il lui explique qu’elle a toujours été la seule à croire en lui). Alors, lorsqu’il parvient enfin à écrire des chansons qui ont du succès, il est tout étonné de ce qu’il a produit et ne peut concevoir qu’il en soit l’auteur. D’où l’idée d’invoquer un Dieu qu’il nomme les Beatles. A ce rythme-là, il est évident qu’il passe pour un illuminé aux yeux des autres. Et peut-être alors qu’il faudrait prendre un petit peu plus au sérieux la parole de l’ermite qu’il rencontre vers la fin (je suis obligé de parler en codé), qui parle et se comporte comme un sage. Evidemment que cela est voulu ! Que lui conseille cet ermite ? De se faire soigner ! You know what I mean ?

 

Et voilà comment le film se construit à la fois sur ce dédoublement et cette recherche d’identité. Le nouveau Jack Malik est une vedette adulée, ce qu’il a toujours cherché à devenir. Mais son mal-être issu de sa tricherie fait qu’il n’est plus celui qu’il était. Il voudrait composer avec le Jack d’avant et le nouveau Jack, mais c’est impossible (c’est ce que signifie le fait de chercher à glisser la chanson « Summer song » parmi celles des Beatles). Alors il se met à détester celui qu’il est devenu, et qu’il ne peut plus être sans risquer de glisser véritablement vers la folie. YESTERDAY peut alors s’interpréter comme un chemin de vie dont la traversée est une quête de soi. Un parcours initiatique pour parvenir à se trouver. Et si la fin peut effectivement se lire comme une happy end, elle surgit surtout comme une fable dont la morale tout pirandellienne conclurait fièrement de la sorte : « Pour savoir qui on est, il faut d’abord savoir qui on n’est pas. »

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