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4 décembre 2016 7 04 /12 /décembre /2016 22:02

La vie de critique érudit n'est pas de tout de repos, mais elle a de grands avantages. Elle permet surtout de voir du pays et de s'accorder avec les différentes cultures. Hier au Cambodge, aujourd'hui en Grèce (effet nuage de fumée), dans deux heures en Amérique Latine (nouvel effet nuage de fumée, t'en as pour ton argent et en plus tu n'as même pas mis tes lunettes 3D !), c'est une vie palpitante dont le mécanisme est semblable au télépode de Jeff Goldblum dans THE FLY. Pas le temps de jouer les touristes, nous avons bien mieux à faire. Chaque film non vu est un chaînon manquant du joyau qui nous relie tous. Chaque film vu est le legs d'un aventurier qui œuvre pour la conscience collective. Oui, il faut bien se qualifier d'aventurier car il n'y a pas de panorama mondial sans prise de risques. C'est ici que la dimension sacerdotale se définit selon les perceptions personnelles. Car il faut bien pourtant se frotter au cinéma de tous les pays, il faut bien ne privilégier aucun genre et tous les mettre dans le même panier, il faut bien aller rôder sur les bords de films douteux voire carrément ratés, il faut bien se frotter à ceux récompensés comme à ceux montrés du doigt, et il faut bien faire tout cela. Et bien le faire cela signifie leur donner les mêmes chances au visionnage et lors de la critique. Parmi les films sortis au cinéma, nous voyons environ 300 à 350 films par an. Cela peut paraître beaucoup. D'un point de vue mathématique, pas vraiment. Car cela représente grosso modo 50% des films sortis dans l'année. Quelle est la proportion pour la critique dite professionnelle ? Qui contrôle leur travail ? Nous voulons parler de la pertinence de leur travail, pas de leur travail effectif. Jamais ils ne rendent compte de cela. C'est dommage, les copains, parce que cela permettrait d'en apprendre un peu plus sur leurs méthodes de travail et de comprendre où en est la critique aujourd'hui.  Tout cela pour dire que le critique érudit n’œuvre pas que par intérêt personnel. Il doit savoir faire preuve d'audace et de témérité. Il doit aussi bien fréquenter Johan van der Keuken ou Billy Wilder que Claude Zidi ou le dernier film de Kad Merad. Certes, on n'est pas obligé de tout voir pour savoir de quoi on parle, mais fréquenter les mêmes cercles n'aboutit qu'à rendre compte que d'histoires de familles. Le paysage cinématographique est plus large que cela. Et c'est pour cela que nous vous proposons aujourd'hui de nous déployer jusqu'en Suède, là où les gens s'appellent tous Bergman, parlent en chuchotant, et croient que l'herbe est blanche à cause de la neige. Mais surtout, voilà que notre âme d'aventurier casse-cou nous emmène jusque dans les recoins les plus sombres du cinéma, j'ai nommé le direct-to-DVD. Et là, tu commences à flipper bien fort ta mère-grand, ami lecteur, mais rassure-toi, nous t'avons un peu menti pour faire un effet d'annonce retentissant, parce que si on veut, on peut trouver plus sombre, plus machiavélique et plus arriéré encore : la V.O.D. Mais bon, ce sera pour une fois prochaine. Démarrons une autre histoire, comme disait le circassien moustachu. Comprenne qui pourra.

 

               La Suède est un pays scandinave coincé entre la Norvège à sa gauche et la Finlande à sa droite.  C'est une monarchie constitutionnelle dont la capitale est Stockholm. Elle compte presque 10 millions d'habitants mais plus aucun Viking, contrairement à la croyance populaire. Voilà pour les présentations qui ne servent à rien. Passons aux choses sérieuses.

 

FLUGPARKEN est sorti voilà maintenant plus de deux ans dans son pays d'origine et n'a pas eu les honneurs d'une diffusion sur le sol français. Il écope donc de la sanction direct-to-DVD. Et là, il convient tout de suite d'apporter une précision qui a son importance. Le direct-to-DVD renferme deux grands courants : les films qui coulent quand vous les jetez dans une piscine, et ceux qui flottent même attachés à une pierre. Et c'est évidemment cette dernière catégorie qui est la plus intéressante. Elle regroupe tous ces films qu'aucun distributeur n'a pas eu les corones de sortir dans le réseau des salles françaises (parce que contrairement à ce qu'on pourrait croire, la distribution ce n'est pas une question d'argent mais bien de corones). Et puis il y a des éditeurs qui fouinent, qui regardent les films, et qui se prennent eux-aussi pour des aventuriers. Et ils vont même parfois vous faire de superbes éditions avec des transferts magnifiques et plein de bonus qui ne se contentent pas de faire du remplissage de galette, et qui sont parfois tout aussi passionnants que le film. Ce sont eux qui sont dans le vrai. Ce sont eux qui font un doigt d'honneur aux distributeurs qui ne savent plus faire leur métier. Ce sont eux qui essaient de rétablir un peu de justice, même si la vraie justice ce serait que ces films aient leur place dans une salle de cinéma.

 

Avec FLUGPARKEN, c'est Outplay qui s'y colle. Voilà un éditeur plutôt sympa, même si la copie DVD n'a rien de mirobolant, qu'on n'y trouve que le film et tant pis pour les fioritures du service après-vente. Tiens, c'est étrange, Outplay s'est fait une spécialité des films où les hommes font des choses entre eux et les femmes aussi, bien qu'il ne soit question de cela à aucun moment dans FLUGPARKEN.

 

C'est le premier film de Jens Östberg, connu ni d'Alice ni de Thibault. Souvent, la difficulté du premier long réside dans l'écriture, dans sa prolixité, son aptitude à vouloir toujours tout expliquer. C'est loin d'être le cas ici et il vaut même mieux être très attentif pour ne pas être en reste d'informations primordiales disséminées l'air de rien tout du long.

 

Déjà, c'est simple : les dix premières minutes du film sont décisives. Il s'y déroule un événement dont une partie reste dissimulée jusqu'à la fin, et c'est cette ambiguïté qui servira de leitmotiv au film. Mais surtout, il va y être prononcé une phrase voire deux, qui vont conditionner les agissements futurs du protagoniste.

 

Le film commence sans quasiment aucune exposition. C'est-à-dire que nous ne savons pas de quelle sorte sont les relations entre les personnages. Jens Östberg cultive ce sens du non-dit par ce qui relie les personnages dans la façon dont ils se comportent entre eux. Déjà, c'est bien vu. Sverrir Gudnason et Leonard Terfelt semblent être amis. Leonard vit avec Malin Buska. Cette dernière a eu une histoire avec Sverrir qui a duré plusieurs années. Jamais nous ne saurons ce qu'ils éprouvent désormais l'un pour l'autre. Jamais nous ne saurons si Leonard et Sverrir étaient amis avant cette histoire ou s'ils le sont devenus après, quand Malin s'est mis avec Leonard. Malin a un enfant avec lequel Sverrir passe beaucoup de temps, comme s'il était possible que ce soit le sien, bien que le petit parle de Leonard comme étant son papa. Sverrir et le père de Leonard sont aussi très liés, sans aucune connotation sexuelle. Sverrir est un personnage insaisissable, obscur. Malin semble en proie à ses tourments intérieurs. Leonard semble délaisser sa famille et se perd dans l'alcool. Bref, l’ambiguïté est à son comble, Jens Östberg l'entretient au maximum et pas grand-chose de plus ne sera dévoilé. Cela crée un brouillard scénaristique qui, d'abord, permet d'aller à l'encontre de l'écueil dont nous parlions plus haut, et ensuite évite de donner des pistes d'explication trop balisées dans les agissements de chacun. Le réalisateur va axer son travail vers cette part d'inattendu, d'irrationnel, voire de suicidaire, qui se terre dans le comportement humain.

 

               Au début du film, les seuls repères dont nous gratifie Jens Östberg concernent le personnage incarné par Leonard Terfelt. Si bien que nous le prenons pour le personnage principal. Sur son lieu de travail, Leonard semble absent. Quelque chose l'absorbe et ce n'est manifestement pas la concentration que demande sa tâche. A ses côtés, l'anxiété est palpable. L'impression se confirme d'une manière plus dramatique l'instant d'après, lorsqu'il erre près des lignes d'un chemin de fer. Mal être, désespoir, rage intérieure, sensation de malaise, le réalisateur donne peut-être à voir une tragédie, mais non... Nous pourrions songer à l'élan suicidaire de Leonard, mais son mal de vivre est tout autre. Il se situe probablement plus (comme nous l'indique la grande énergie qu'il déploie) dans la recherche d'un choc émotionnel ou physique, de quelque chose qui le secoue, qui le remue, qui fasse survenir quelque chose à vivre de plus exaltant, de plus passionnant, de plus différent. Ce qui peut expliquer qu'il déserte son foyer, qu'il abuse de la boisson, qu'il ait des emportements instinctifs, ou encore qu'il ait recours à la violence. Leonard a tout du maniaco-dépressif. C'est l'état du personnage auquel s'attache le film sur tout ce commencement, sans jamais nous dévoiler une piste qui mènerait à un début d'explication. Pas besoin, c'est encore bien joué.

 

Ne sachant pas trop comment s'y prendre car ne sachant pas trop ce qu'il recherche, Leonard boit car Leonard veut toujours être ailleurs. Un soir où il a encore trop bu, Sverrir le raccompagne chez lui. Plus tard, Leonard veut montrer un terrier de renards à Sverrir. (Coude, coude. Outplay fait son coming out ?) Les voilà partis dans la nuit, affrontant la neige et le froid. Leonard est éméché, Sverrir passablement fatigué, le ton monte... Pour mettre fin à ces dix premières minutes, le réalisateur fait une chose très belle et très punchy : il décale le titre de son film jusqu'à ce moment pour en faire un plan de coupe forcément fulgurant. Forcément fulgurant car lorsqu'il intervient il donne énormément d'impact aux derniers mots qui viennent d'être prononcés par Leonard Terfelt, et qui seraient sûrement passés à l'as avec une simple succession de plans. Et c'est là que réside toute l'ingéniosité de ne pas avoir désigné auparavant l'enjeu du film. Le flou qui faisait que nous ne savions pas trop ce que Jens Östberg avait dans sa hotte, consacre tout à coup l'émergence de la ligne directrice mise enfin à jour. Ce faisant, et d'une manière plus concrète, cela focalise l'attention sur une « qualité » du personnage que sa présentation n'a pas mise en avant, et c'est par ce prisme que la suite du film va se développer. Eh bien dites-donc, ça commence avec tact et délicatesse ! Et il va falloir rester bien alerte car quelque chose nous dit qu'il y en aura plus pour le psychologique que pour l'action. Et pourtant, il en sera bel et bien question, d'action, et plus précisément de passage à l'acte, c'est même le cœur du film, nous y reviendrons.

 

En fait, ce qui se dit à ce moment crucial du film, va résonner en Sverrir comme ces mots qu'on vous dit un jour et qui vous hantent pour la vie.  D'ailleurs, le film a quelque chose de sournoisement fantomatique, même si ce n'est pas énoncé en tant que tel, que ce soit de l'errance éthérée  de Sverrir, à la relation fantôme qu'il s'imagine construire avec Malin Buska, jusqu'à la magnifique photographie de Måns Månsson qui joue avec le froid des couleurs, les flous artistiques ou la faculté de Sverrir Gudnason à se fondre dans le décor. A ce titre, il faut remarquer l'envahissement de la neige et du froid à l'écran, avancés comme des caractéristiques internes au personnage de Sverrir. La forme symbolique de sa solitude s'y trouve ainsi traduite, ainsi que tout désir de vie engourdi par le froid de la couche neigeuse. Car cette neige c'est celle qui s'est abattu sur Sverrir au point de le rendre apathique, en tout cas spectateur de sa propre vie.

 

Le film va alors faire cohabiter deux chemins parallèles dont le but, vous vous en doutez bien, est de converger tôt ou tard. Il y aura donc, d'un côté, cette introspection de Sverrir qui va être constamment en réaction face à la vérité que Leonard lui a assénée. Et de l'autre, l'enquête sur ce qu'il s'est passé entre les deux amis au cours de cette nuit. Evidemment, tout est lié, ou plutôt tout se répercute. Là où Ostberg est plutôt finaud c'est dans son désir de ne pas se limiter au seul thriller, nous dirions même au seul thriller psychologique. Quand un scénario commun se serait orienté vers la révélation de ce qui ne nous est pas raconté lors de cette fameuse nuit, Östberg relègue cette option à la portion congrue du film, presque dans un souci utilitaire, informatif. Ce qui l'intéresse c'est l'acte, c'est essayer d'approcher ce qui peut ne pas paraître évident de prime abord, qui peut ne pas paraître logique, ne pas être dans l'ordre des choses. Et par une mise en scène très raffinée, il s'évertue à ne pas nommer les choses, à ne pas orienter le spectateur vers un déterminisme factuel, car il n'existe pas de vérité d'un seul tenant. Même les aveux finaux de Sverrir peuvent eux-mêmes être soumis à ce principe de contingence. Il peut très bien raconter ce qu'il croit tenir pour vrai, comme il peut très bien choisir de raconter ce qui l'arrange. La sincérité n'est qu'une possibilité. Bref, un regard, un geste, un symbole, une action, un mot, rien n'est soumis à une seule interprétation. Et nous nous apercevons que ce n'est pas le manque d'informations qui crée le flou, mais plutôt la superposition des couches.

 

               Pour parvenir à tout cela, Jens Östberg s'est orienté vers une mise en scène minimaliste sans aucun effet ostentatoire, sans esbroufe. Et c'est plutôt classieux à l'image. La direction artistique est racée sans être complètement originale, mais sied parfaitement à cette atmosphère tout en slow burn qui nous traîne tranquillement vers ce qu'elle a en tête depuis le début, tout en faisant mine de s'intéresser à autre chose.

 

D'abord, il faut bien noter que le rythme du film est lent. Ce qui n'est jamais un défaut en soi. Ici, on prend son temps. Jusqu'à Malin Buska qui semble être complètement à l'arrêt. C'est très net. Elle n'est quasiment jamais  dans une continuité d'action et semble figée voir perdue dans son monde intérieur. Ses interactions avec Sverrir l'amèneront tout de même dans sa dernière scène à faire un acte lourd de sens et de conséquence. Sverrir Gudnason semble lui-même dans un no man's land intime qui va s'animer peu à peu suite à l'événement déclencheur cité plus haut. Participent à ce paysage figé cette neige et ce froid que nous évoquions plus haut et que le réalisateur utilise à bon escient pour définir les personnages et les situations qu'ils vivent.

 

Pour parler du personnage joué par Sverrir Gudnasonqui, rappelons-le ne se dévoile jamais, Jens Östberg utilise plusieurs leviers de mise en scène. D'abord, il utilise le format Scope pour perdre, isoler, rapetisser Sverrir dans le cadre. A plusieurs reprises il convoque ce procédé pour illustrer cette impossibilité du personnage à prendre la mesure de ce qui l'entoure. En jouant de la sorte avec lui, il oriente le spectateur vers la façon dont Sverrir se vit. Son incapacité à prendre de l'ampleur, à devenir maître de la situation, à s'affirmer, à s'imposer. Le Scope rend souvent l'idée de cette lutte avec son environnement direct. Cet environnement qui semble l'écraser, le dominer. La scène dans l'école en est un bon exemple, avec son joli plan où Sverrir s'engouffre dans les points de fuite. Et malgré la détermination qui l'anime, la simple apparition d'une autre personne (et hop, l'échelle de plans nous fait passer à une discussion où les deux hommes parlent d'égal à égal puisqu'ils ont désormais la même valeur de plan), qui lui explique très calmement qu'il n'a pas le droit d'être ici, suffit à l'empêcher de progresser plus loin dans l'établissement et à le ramener à son propre sentiment d'inertie.  C'est notable ici, mais c'est aussi le cas à plusieurs autres endroits du film, la simplicité des choix de mise en scène laisse une place énorme au champ lexical des valeurs de plans, qui est un levier de mise en scène des plus simples à mettre en place, qui amène énormément de relief et de lyrisme, et qui est pourtant aujourd'hui trop délaissé.

 

Il faut bien voir que tout cela ne mène pas directement vers la réussite assurée, mais génère une évidente sensation de maîtrise de l'outil cinématographique. Et c'est vrai que FLUGPARKEN ne témoigne pas d'un renouveau du langage de la machine cinéma, pas plus qu'il ne révèle un style unique d'un cinéaste, il n'empêche que le geste cinématographique est indéniable et que nous ne pouvons que déplorer tous ces manquements qui auraient sûrement pu contribuer à en faire un film bien plus remarquable. Un peu comme si Östberg faisait l'expérience de tout ce qu'il sait ou a appris sur le cinéma, en assurant de manière un peu scolaire les différentes étapes de son film. De manière très juste, très mesurée, sans jamais véritablement se libérer de ce carcan et laisser libre cours à son style. C'est ce qui se retrouve dans cette narration très linéaire, qui a pourtant fait le choix d'être double plutôt qu'entièrement focalisée sur une quête unique, comme dans la trame classique d'un polar ou d'un thriller. Le montage n'ayant pas alors la marge de manœuvre nécessaire pour réorienter le film dans des directions plus flottantes, il se contente de quelques fulgurances et fait la part belle aux jointures dissonantes, forme essentielle du dynamisme que requièrent les scènes entre elles. Et pour cela, Jens Östberg s'attache aussi à créer une certaine tension. Souvent, il combine une bande sonore énergique qui peut jouer sur la durée d'une note, avec un montage plus rythmé, toujours dans le but de faire progresser son protagoniste (il prend plus de temps à faire évoluer son personnage que son intrigue, c'est son credo). Alors, cette tension peut apparaître comme une devanture, comme un recours un peu artificiel nécessaire pour stimuler le métrage, mais ce sont véritablement les centres névralgiques du film qui sont ici à l’œuvre. Comme dans cette scène où Sverrir retourne s'entraîner seul au hockey sur glace. Il s'agit d'une scène sans aucune parole, mais qui dit beaucoup de choses sur ce qui meut Sverrir à ce moment-là. Le montage et la musique orchestrent la scène dans une chorégraphie en deux temps. C'est du mouvement, de la sensation, de l'implicite, du signifiant, qui en dit autant sur le personnage tel qu'il est à cet instant, qie sur le comportement différent qui pouvait être le sien quelques années auparavant. Et en plus, tout cela prépare la scène suivante dans les vestiaires. Je dis ça, je dis rien, appréciera qui pourra.

 

C'est sur ce fil ténu que progresse FLUGPARKEN, juxtaposant les questions autour d'un événement précis, aux comportements étranges de Sverrir Gudnason, dont les pérégrinations ont pour origine mais aussi pour fin ce qui s'est réellement passé entre lui et Leonard Terfelt. Et Jens Östberg fait des choix osés et étonnants tout au long du film, comme celui d'annoncer que le personnage principal n'est pas celui que nous croyons, ou encore d'éclipser ce moment qui deviendra la grande interrogation du film. En fait, il n'a qu'une seule idée en tête : se consacrer au développement psychologique de Sverrir Gudnason.

 

Le portrait qu'il va dresser va alors révéler sa complexité à travers ce qui se réveille en lui. Nous pouvons dire que Sverrir est à la fois touché dans son amour propre, mais aussi galvanisé par ce qu'il s'est passé la fameuse nuit et que nous ne nommerons pas. Mais pour vous donner un ordre d'idée, il n'est pas idiot de comparer cela avec ce que peut ressentir Jeff Bridges dans FEARLESS. A cela près que c'est tout le contraire qui se produit. Là où l'acteur américain pouvait se surpasser parce qu'il se croyait invincible, le suédois est incapable d'influer directement sur le cours de son existence, tout du moins qu'elle fléchisse dans le sens qu'il souhaite lui attribuer. Comme si une fois de plus, quoi qu'il fasse tout sera toujours plus fort, tout son environnement sera toujours trop écrasant. C'en devient même comique à plusieurs occasion pendant lesquelles Sverrir se sentant pousser des ailes se voit malmené par plus fort ou plus malin que lui (c'est le cas que de cette fille plus jeune que lui qu'il est incapable de forcer à lui rendre ses clés). Mais cela ne l'empêche pas de se croire supérieur ou de se sentir plus fort. Le réalisateur ne manque pas d’égrainer les exemples. C'est le cas dans le restaurant lors de la rencontre avec cette jeune fille. Si vous regardez bien, il y a un moment furtif qui en dit long sur la façon dont se dresse le personnage de Sverrir Gudnason et sur le comique qui en surgit. Sverrir reconnaît la jeune fille comme faisant partie du groupe de jeunes qui l'ont frappé et lui ont volé son vélo. Il se rapproche d'elle et s'assied à sa table, lui demandant de lui rendre son vélo. Le ton qu'il emploie est celui de la personne qui a le pouvoir, qui se place au-dessus de l'autre. C'est un ton autoritaire et donneur de de leçons. Il est péremptoire, sec et directif. C'est ainsi qu'il lui demande de se rasseoir, et comme il s'aperçoit qu'il parle trop fort et qu'il ne veut pas qu'un des employés l'entende, un regard de sa part trahit son manque de confiance en lui et prouve qu'il n'est que dans la représentation et dans l'idée du rôle qu'il aimerait tenir. (Nous voyons bien là tout ce qui le rapproche et le différencie de Jeff Bridges dans FEARLESS qui, lui, ne joue pas un rôle).

 

Grâce à ce genre de détails savamment disséminés, la trajectoire de Sverrir Gudnason prend forme petit à petit. Et puisque nous en sommes au rayon des connexions, il est aussi possible d'établir un parallèle avec le mythe du super-héros. Toujours soumis au contrecoup de l'affrontement avec Leonard en début de film, et toujours soucieux de se prouver à lui-même qu'il n'est pas tel que décrit par son ami, Sverrir n'existe plus que dans l'idée de devenir maître de sa propre vie, comme si cet événement suffisait du jour au lendemain à le transformer. Et si je parle de transformation, vous voyez donc poindre l'habile transition avec le film de super-héros. C'est d'ailleurs très explicite. Sverrir s'arme d'une barre de fer qu'il customise, dans une scène où il devient un mélange biscornu et plaisamment foireux de KICK-ASS et du Travis Bickle de TAXI DRIVER (autre figure non conventionnelle de super-héros). Et c'est ainsi qu'il part redresser les torts, à commencer par celui qui ne tient pas son chien en laisse. La scène devient cocasse lorsque le maître hésite entre incrédulité et indifférence face à cet hurluberlu qui le menace avec sa barre mais qui refuse de s'en servir. Et pour cause, il ne sait pas se servir de ses armes, ou s'il y arrive c'est maladroitement, presque sans faire exprès. C'est aussi cela qui est amusant : il est incapable d'imposer sa vision des choses, de se faire obéir aux ordres qu'il donne. Il prend chaque fois une posture pleine de suffisance et de superbe, mais se fait invariablement remettre à sa place, violenté, destiné à être celui qu'il a toujours été, et frustré de constater que Leonard avait dit vrai. Il devient alors ce super-héros dont la seule arme est le bon sens, et affronte les autres en leur faisant la morale, en leur disant que ce qu'ils font ce n'est pas bien. Forcément, c'est très drôle. Et c'est ce mélange qui hésite volontairement ente toutes ces formes, qui crée un film hybride au climat rigoureux. Par ces petites touches assénées au cours de plusieurs aventures, Sverrir fait l'expérience de son impossibilité à devenir un super-héros (c'est en cela que nous pouvons voir le film comme un décalque négatif du genre), mais surtout de sa difficulté à devenir proactif.

 

               Voilà les rails sur lesquels roule FLUGPARKEN, un film qui a le mérite de ne pas s'embarquer là où nous l'attendons, sans toutefois réussir à être pleinement surprenant et réjouissant. Les quelques leviers  de mise en scène dont se sert Jens Östberg rajoutent à l'austérité suédoise. Peut-être manque-t-il deux ou trois éléments plus décalés, des cadres un peu plus fous ou même des envolées scénaristiques en contrepoint. Le froid scandinave semble geler le métrage dans ses profondeurs et l'ériger en statue de glace. Les quelques symboles censés apporter une forme de poésie et de lyrisme ne font que renfrogner le film dans ses circonvolutions intérieures (notamment le renard qui revient sous plusieurs formes). Les acteurs sont à l'image de cette volonté que tout se joue souterrainement. Ils interprètent dans la retenue, avec un travail évident sur le background de chaque personnage, même si très peu d'informations transparaîtront finalement. Mais dans les rapports entre eux, dans un sourire, dans un regard, dans un geste, dans une inflexion de voix, ce bagage donne du corps et énormément de matière non seulement pour les acteurs mais aussi pour les spectateurs, puisqu'il ne faut pas oublier l'exigence de dissimulation à de nombreux points de vue, que le réalisateur met en place !

 

Et en fin compte, qu'est-ce que nous avons ? Un film atypique à la réalisation plus que correcte, qui n'aura connu que les joies du direct-to-DVD et une couverture médiatique famélique. Pendant qu'une quinzaine de films déboulent sur nos écrans chaque semaine. Et ce n'est pas tellement que ce film comme tant d'autres soit oublié, qui est révoltant. Après tout, il y en a toujours eu depuis que le cinématographe existe. Quantité de films asiatiques majeurs ont été passés sous silence pendant des années. Certains ont eu droit à une sortie bien des années plus tard, d'autres eurent la vidéo pour se rattraper. Et sans parler de tous ces cinéastes de talent qui n'ont même plus droit de cité dans nos salles. Nous pensons ici aux Dante, Greenaway, Hartley, Ferrara etc. dont les derniers films ne sont pas tous sortis chez nous. Bon, d'accord, il y aura toujours des oubliés, de manière plus ou moins scandaleuse. Mais ce n'est pas tant ces oublis que la place qui leur est subtilisée dans notre système de distribution qui a du mal à passer. Si nous regardons les films à l'affiche ce dimanche 04 décembre 2016, pour INFERNO, LES TETES DE L'EMPLOI, FRIEND REQUEST, TOUR DE FRANCE, MA FAMILLE T'ADORE DEJA, FINDING DORY, RUPTURE POUR TOUS, OUIJA : ORIGIN OF EVIL, BRICE 3, MAL DE PIERRES, BRIDGET JONES'S BABY et autres RETOUR CHEZ MA MERE (et nous ne listons ici que des films que nous avons vus), c'est autant de films d'aussi bonne facture que FLUGPARKEN qui n'auront jamais la primeur d'une sortie en salles. Alors, qui est-ce qui ne fait pas son boulot ? En attendant, chaque année des réalisateurs font de chouettes films qui ne trouvent jamais de distributeur. Encore plus de scénarii brillants sont rejetés par le C.N.C. pour d'obscurs motifs. Le C.N.C. a refusé de financer TENEMOS LA CARNE, le sublimissime film d'Emiliano Rocha Minter, sous prétexte qu'ils le trouvaient « monstrueux ». Nous aimerions bien qu'ils nous expliquent en quoi ce ne serait pas une qualité qu'un film soit monstrueux... Pas plus tard qu'il y a 15 jours, l'un de nos amis s'est vu refusé son (ambitieux) scénario par le même C.N.C. pour la simple et bonne raison qu'il est « trop sociétal » ! D'abord, c'est faux (et quand bien même), et ensuite il serait intéressant de nommer tous les films trop sociétaux auxquels le C.N.C. a donné de l'argent. Pour la petite anecdote, précisons que seuls 2 exemplaires sur les 5 demandés avaient été lus.

 

               Voilà où nous en sommes. C'était notre vingt-troisième état des lieux.

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