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5 juin 2015 5 05 /06 /juin /2015 08:00

UNE BELLE FIN se terminera-t-il par… une belle fin ? Tu la sens venir la dernière phrase clefs en main pour terminer ta critique, toi qui ne sais jamais comment finir en beauté et boucler la boucle ? Tant d’évidence c’est tant mieux, camarade. Cela t’apprendra à user d’artifices éculés qui rappellent une époque où tout était théâtral. Savoir retomber sur ses pattes c’est une question d’agilité, d’expérience pourrions-nous dire. Une sorte de performance qui peut s’avérer brillante mais qui met toujours plus en avant la malice de l’auteur que la conformité du récit. Utiliser le titre de ce film pour clôturer ta critique voilà qui relèverait du lieu commun, et je sais à quel point tu as à cœur de ne point céder à la facilité la plus éclatante. Commence donc par éviter tout calembour dans tes critiques, c’est la règle numéro 1. Lis les titres de « L’Equipe » et tu comprendras pourquoi.

 

C’est vrai qu’avec ce titre nous voilà directement plongés vers la fin du film sans pouvoir deviner comment nous en sommes arrivés là. Il semble promouvoir ce qu’il énonce, à moins qu’il n’y ait un second degré caché au détour du film. Nous verrons qu’il n’en est rien et qu’il s’agit une fois de plus d’une mauvaise idée du distributeur qui a changé le titre pour un nouveau, moins séduisant que l’original. Non seulement il spoile son film mais il efface les multiples sens du titre original : STILL LIFE. La vie qui recommence, la vie figée, la nature morte, la photographie de l’instant, la photographie d’une vie, tout ce qui ne change pas etc. Un titre à la fois complémentaire à lui-même et qui s’oppose. Presque un oxymore. Tout cela pour en arriver à : UNE BELLE FIN. Celle qu’Eddie Marsan souhaite accorder à tous ceux dont il traite le dossier. Il faut dire qu’il est employé dans une administration chargée de retrouver les familles des personnes seules qui viennent de décéder. La démarche d’Eddie Marsan est simple : retrouver ces personnes, les informer et faire en sorte qu’elles assistent à l’enterrement. Ce qui serait une belle fin. Or, si ces personnes sont seules c’est qu’il existe de bonnes raisons (résurgence de l’effroyable dont parlait Renoir dans le toujours d’actualité LA REGLE DU JEU). Alors c’est lui qui écrit l’éloge funèbre et qui assiste seul aux funérailles. Ca, pour moi, c’est un beau début.

 

STILL LIFE est le second film d’Uberto Pasolini, qui a surtout œuvré dans la production. Je passe l’indice comme si de rien n’était, suivez cet avion. C’est en partant de sa propre misère affective et sociale, qu’il a imaginé le personnage John May, cet homme simple qui serait chargé de rétablir le lien du cœur, tout ce qui faisait encore le cinéma populaire jusqu’à la fin des années 80, c’est dire.

 

Il offre à Eddie Marsan le rôle d’un homme ordinaire, passe-partout, quelconque. Il est l’image de l’homme à qui personne ne prête attention, qui passe comme un fantôme. Nous n’irons pas jusqu’à dire qu’il s’agit du quidam perdu dans la masse (puisque Pasolini ne le filme pas en tant que tel mais plutôt à l’inverse : isolé, esseulé, réduit au minimum de contact humain), mais l’idée est prégnante. « Le gars qu’on croise et qu’on ne regarde pas », comme chantait le poète. Pour coller à sa solitude, le réalisateur opte pour une caméra fixe dépourvue d’effets de cadres travaillés, des mouvements de caméra concentrés sur ses actions répétitives et quelques plans larges pour mieux l’isoler. Tout semble très limité chez lui, aussi bien les lieux alentours qui forment son quotidien que sa manière de penser. Les plans prennent le temps de développer les actions que le personnage nourrit, signe de son attention. Eddie Marsan mène une vie ascétique, morne, répétitive. Il range et ordonne jusqu’à la maniaquerie. La caméra aime à montrer qu’il réserve une place pour chaque chose et que chaque chose s’inscrit dans un espace ordonné et précis. Aucune nouveauté, aucune place pour l’impulsion, aucun trait d’extravagance. No fun. Pasolini s’attache aux détails qui vont caractériser Eddie Marsan. Il l’habille d’un imperméable sombre le plus banal possible. Il cherche à décrire les rituels du quotidien. Dans le travail, Eddie Marsan se rend à chaque enterrement et témoigne la même commisération quel que soit le défunt. Chez lui, la préparation méthodique du repas rappelle le rangement tout aussi méthodique de son bureau, de ses dossiers. Les décors rendent compte aussi de son ordinaire. Les objets sont réduits à l’usuel le plus strict. Les couleurs sont bannies. Tout est gris, terne, vidé de toute substance. No fun. Pas de rires, pas de sexe, pas d’action. Eddie Marsan remplit une fonction et ne vit pas. Le film s’emploie à dégager dès les premières minutes le morbide qui rôde. Tout paraît sans vie ; Eddie Marsan s’occupe des morts ; lui-même n’a de vivant que l’apparence. Sa vie intérieure est réduite au néant. Il mange du thon en conserve, un animal mort mis dans une boîte, rappelant les morts mis dans des cercueils, les cercueils mis dans des corbillards avant d’être ensevelis sous des blocs de terre, les dossiers qu’il range dans des cartons, les cendres des inhumés rangées dans des blocs en plastique etc. Nous avons l’impression qu’il se trouve dans un no man’s land, comme si la ville était imaginaire ou donnait un avant-goût des limbes. Ou, plus probablement, comme une photographie dans laquelle déambuleraient les personnes sans que la sève ne coule plus dans les arbres, sans que chacun ne puisse trouver de sens à son existence. STILL LIFE s’attache à ces états de désociabilisation, vécus comme inconscients et inéluctables.

 

La vie d’Eddie Marsan est figée. Elle en devient répétitive et on se dit qu’elle va virer à l’ennui, à la frustration et finalement à la dépréciation. Mais le film s’articule différemment car Eddie Marsan aime son travail. Mais pas d’une manière enjouée ou passionnée. Il l’aime d’une façon banale, presque étrange, totalement dénuée de psychologie. Cet étrange prend un autre aspect que celui d’un film dont le début était assez similaire : STRANGER THAN FICTION. Dans ce dernier, l’étrange devenait absurde et provoquait le décalage qui s’orientait finalement vers le fantastique. Ici, le fait de se faire constamment plaquer sur le sol de la réalité confère une bizarrerie au ton moins coercitif. Comme si ce que nous pourrions trouver aliénant dans nos vies était ici vécu comme un principe non contraignant. Alors l’histoire se déroule très agréablement, tant et si bien que tout ce petit manège journalier, procédurier, cyclique, nous gagne par son indécision. Il est impossible de savoir comment va évoluer le personnage d’Eddie Marsan. Aucun indice pour nous mettre sur la voie. Il pourrait virer dans la psychopathie la plus terrifiante, comme il pourrait tout autant s’orienter vers une transformation plus légère, plus ludique s’il commençait à prendre conscience de son propre sort. Et je dirais que c’est jusque-là que le film s’avère le plus intéressant, car, à moment donné, le réalisateur va devoir faire ce choix et faire évoluer son personnage puisque, scénaristiquement, le personnage est l’histoire.

 

A partir de là, STILL LIFE se révèle. Sous le vernis s’extrait un mélo dans le sens le plus péjoratif du terme, à savoir un film qui prêche les bons sentiments et glorifie ceux qui répandent le bien autour d’eux. Moralement droit et très couv' de « Libé ». Le décor étant planté dans la première partie, l’éveil peut désormais avoir lieu et tous les éléments se répondre par jeu de similarité. C’est ce qu’annonce l’intrigue centrale du film, lorsque le dernier dossier d’Eddie Marsan va le mener chez un de ses voisins. A partir du moment où il regarde par la fenêtre de son voisin et aperçoit son propre appartement, le déclic s’effectue et les bruits de sabots battent le pavé. Evidemment, le voisin c’est le regard extérieur, le recul nécessaire pour voir de quoi est faite sa propre vie. C’est la prise de conscience dont nous parlions précédemment. Et le voisin devient un double à peine déguisé. Les appartements se répondent dans leur conception. Les misères s’échangent. Les tons restent aussi peu fantaisistes. Et les destinées se font écho.

 

Débute alors l’heure du changement. Du point de vue formel, c’est un peu dommage que la quasi-totalité de la démonstration ne fonctionne que par opposition. Plus le film avance et plus les couleurs s’insèrent dans le cadre. Eddie Marsan affermit ses contacts humains. Il s’ouvre à son monde, à sa vie. Il s’habille de manière moins stricte, se dit qu’après tout un poisson frais ça peut aussi se manger (encore faut-il avoir quelques compétences culinaires), il ne regarde plus 3 fois sur le côté avant de traverser la route etc. Ce qui est beaucoup plus intéressant ce sont tous les petits accidents qui n’expriment pas ouvertement le changement mais qui en évoque l’appartenance. Ce sont de brefs moments de mise en scène qui répondent de manière tout aussi étrange à la bizarrerie de la première partie que nous mentionnons précédemment. C’est ainsi qu’Eddie Marsan verse des pommes de terre dans une éplucheuse et qu’il semble avoir très envie d’y plonger sa main. Juste pour voir ce que ça fait. Quelque chose de non-dit se joue. L’idée est évocatrice et c’est par ce regard nouveau qu’il porte sur son quotidien que le personnage prend vie. Idem lorsqu’il reste un long moment à contempler en hauteur l’entrée d’un immeuble. On ne sait pas très bien ce qu’il pense, ce par quoi il est attiré, une forme particulière, une lumière qui passe à travers un morceau de verre ou une couleur qui naît de l’ensemble, mais c’est par cette fixité qu’il passe dans le monde des vivants, la même qui faisait de lui un homme-statue précédemment. Ces quelques idées de mise en scène sont vraiment bienvenues mais trop peu fréquentes pour rendre l’ensemble plus libérateur qu’on ne le souhaiterait pour ce personnage. Parce qu’à partir du moment où Uberto Pasolini a choisi de jouer sur la corde sensible, il ne semble plus attiré que par ce monopole du cœur, cette fin qui doit absolument être belle.

 

Quand on en arrive là, en général on arrête la mise en scène et on cherche la larme à l’œil. Voilà comment se poursuit STILL LIFE et pour aller plus avant, il va me falloir spoiler la fin et écrire en blanc. Pour moi, c’était entendu depuis de longues minutes, Eddie Marsan vivait seul, n’avait pas de famille et s’occupait de personnes décédées qui vivaient seules, sans famille. Le prochain arrêt me semblait être la case cimetière. La boucle semblait se boucler mais encore fallait-il que la fin soit belle, et ce n’était pas gagné puisque nous n’avions plus de happy end. Surgit donc l’effet que je déteste le plus au cinéma : le deus ex machina. Déjà, chez Molière, il faut sacrément courber l’échine, mais de nos jours… A bien y réfléchir, je préfèrerais même que l’auteur s’arrête là, sans résolution ni rien, et nous sorte un petit calembour bien baveux. Je lui dirais : « D’accord, mon gars, tu avoues ta défaite, tu as les corones de dire que tu ne sais pas comment aller plus loin, tu perds une bataille avec les honneurs. Viens là que je te serre dans mes bras. » Il faut croire qu’Uberto Pasolini n’est pas de cette trempe et préfère attaquer par derrière. Eddie Marsan traverse la rue et paf ! Un camion le heurte et le tue.

 

Scénaristiquement, je trouve cette attitude très lâche. C’est entièrement gratuit et complètement dépendant de ce qu’a mangé le scénariste à midi, si sa copine vient de le quitter ou si son équipe préférée vient de perdre un nouveau match. Voilà un effet qui n’est jamais assujetti à l’histoire et qui ne respecte pas non plus les personnages touchés. En fait, ce n’est pas le deus ex-machina qui m’énerve (il est même plutôt jubilatoire quand il est employé à bon escient), non, c’est plutôt le cynisme avec lequel il est appliqué. Comme si l’incapacité à trouver une idée ne pouvait tourner l’auteur que vers ce processus. Et puis, dans STILL LIFE, il sert surtout à faire sortir les mouchoirs. L’instant d’avant tout semblait se résoudre, Eddie Marsan paraissait changé, il arborait un air moins grave, une relation amoureuse semblait se dessiner et paf ! Les Déménageurs Bretons. Si nous l’avions senti venir depuis longtemps, si cela était indispensable pour créer cette si belle image de fin (qui est tout aussi détestable, par ailleurs, tellement cela dégouline et vous prend par la main), alors il ne fallait pas jouer sur l’effet de surprise et l’amener plus en douceur. Mais pour cela, il aurait fallu renoncer à faire pleurer et utiliser quelques leviers de mise en scène.

 

Comme il était logique de se demander dès le début si la fin serait belle, il était tout aussi logique de penser dès le début qu’elle le serait, vu le ton grave et pesant sur lequel le film s’ouvre. Et le fait que les choses se déroulent comme un plan minutieusement préparé finit par étouffer le film par son caractère inéluctable. Si les cambrioleurs n’aiment pas le cinéma, c’est parce qu’ils n’aiment pas l’imprévu. Je veux dire par là que le film ne sort jamais de son cadre. Petite présentation carrée du personnage, de l’univers dans lequel il vit, intrigue principale, conflits, résolution, déménageurs bretons et belle fin. C’est finement calibré, ça ne dépasse pas du paquet et le prix à payer sera fatalement le prix indiqué. Le découpage est tellement bien ordonné qu’il pourrait s’enseigner à la Fémis (c’est sûr, ils ne vont pas enseigner Carpenter !). Quand tout suit à la lettre ce qui est indiqué, quand l’histoire est aussi dépendante de l’auteur que cela, ce que vous avez sur l’écran s’appelle un film de scénario.

 

Eddie Marsan reste le véritable intérêt du film. J’aime beaucoup cet acteur. Il m’avait surtout marqué dans TYRANNOSAUR et THE DISAPPEARANCE OF ALICE CREED. Dans STILL LIFE, il est une nouvelle fois impeccable. Il se contente souvent de petites scènes, voire de plans, sans aucun mot. Vu leur architecture, j’ai souvent eu l’impression que c’est lui-même qui a fait couper certaines répliques qu’il pouvait faire passer par son jeu d’acteur.

 

Toujours en équilibriste pendant la première partie, il laisse la place à beaucoup d’ambigüité et s’appuie sur un jeu fortement intériorisé. Il semble cette fois-ci débarrassé de son air contrit et amer. Il aborde John May avec beaucoup plus de souplesse, dans une détente corporelle qui dicte un personnage plus à l’aise qu’il ne devrait l’être. Il a une très belle qualité d’écoute, donnée essentielle pour ce personnage, qu’il va d’ailleurs utiliser pour écouter avec les yeux. Soyez sensible à cela, c’est assez délicieux. Il y a une chose que j’ai remarquée chez lui et avec laquelle il joue admirablement. Parfois, il répond à ses partenaires avec un temps un poil trop long. Ce n’est pas systématique mais la manière dont il en joue donne beaucoup d’existence à son intériorité. Cela crée un tumulte presque palpable. Dans une autre veine, des acteurs comme Klaus Kinski ou Oliver Reed pouvaient parvenir à cette fièvre.

 

Eddie Marsan donne vie à un personnage dont nous ne connaîtrons pas grand-chose et qui devient malgré tout attachant. Les actions qui le déterminent en sont cause. Je ne parle pas là de l’élan philanthropique qui régit le film, mais de détails qui en disent plus long que des mots. A commencer par les pointes d’humour disséminées dans le film. Nous pourrions croire qu’avec un personnage aussi terne ces notes n’auraient pas leur place ou feraient tâche dans l’ensemble. Ce n’est jamais le cas et elles interviennent souvent pour rappeler la candeur et la simplicité du personnage, notamment en contraste de situations plus lourdes.

 

Et puis, il y a la façon dont Eddie Marsan s’éveille au monde. Comment de vieux 33 tours vont être le déclencheur d’une excitation maîtrisée mais salvatrice. Comme si l’art était le lien par lequel le monde qui enferme, qui isole, pouvait espérer se réinventer grâce à ce que l’on ne pouvait pas imaginer, ce que l’on ne pouvait pas espérer ou, comme le dit John May, ce qu’il ne voyait pas ainsi. Ce sont aussi des livres qui réparent les pieds cassés de fauteuils. D’autres histoires, d’autres façons de voir le monde qui permettent de soutenir celui qui s’effondre par sa propre existence, qui s’use par lui-même. Il y aurait une seconde vie pour tout. Comme si Eddie Marsan œuvrait pour que la vie se perpétue après la mort. On dit, pour cela, que les morts restent encore en vie du moment que quelqu’un continue de penser à eux. C’est ainsi que se racontent les albums dans lesquels Eddie Marsan collectionne les photographies de ceux dont il a traité le dossier. La photographie c’est le lien entre le passé et le vivant, c’est le mort qui bouge encore, c’est le souvenir qui fait prendre vie à l’immobilisme le plus glacé.

 

Dans cet emploi métaphysique qu’Uberto Pasolini cède à son film, tout ce qui s’insère dans le cadre devient une valeur consistante, à l’instar du concept de la photographie. Le hors-champ n’existe pas ou plutôt n’est déjà plus de ce monde. C’est ainsi que le réalisateur définit les limites de la perception du personnage, dont nous avons parlé plus haut. Et à l’intérieur de ce cadre, Pasolini peut alors s’adonner à une abondance de détails parfois peu visibles mais qui englobent la totalité de son propos et de la vie d’Eddie Marsan. La métaphysique y est abordée sous un aspect cyclique où la répétition est l’aspect le plus travaillé. Sous un aspect géométrique, le réalisateur joue avec les formes. Il répète les voitures garées qui s’alignent, des voûtes, des motifs muraux, des papiers côte à côte, des étagères qui se déclinent, des boîtes qui s’empilent, des quartiers de maisons toutes faites des mêmes briques etc. Il en extrait une sorte de douceur poétique où la répétition ne sait pas être rébarbative mais devient de manière inattendue une alliée réconfortante. Un peu comme la beauté de la violence. La sécurité du repère, somme toute.

 

Basée sur le même principe, je suis moins fan de la musique très terre-à-terre et qui se contente d’illustrer les situations. Pour le coup, elle devient très rébarbative et vite irritante. Le double emploi nuit à la qualité d’écoute et quitte à dépouiller le film, peut-être que le vider de sa substance musicale aurait été une bonne option.

 

En prenant le parti risqué de raconter une histoire à partir de la vie d’un personnage dans laquelle il ne se passerait rien, Uberto Pasolini se frotte à la difficile problématique de la création issue du vide. Pour cela, il opte pour un univers très dessiné d’où il va pousser son personnage principal à s’extraire. Avec ce point en ligne de mire, c’est toute la charpente de son scénario qu’il essaie de desserrer par petites touches. A l’image des fissures faites sur un barrage d’eau qui grossissent et se lézardent, Eddie Marsan va progressivement changer et s’affranchir du monde qui le paralysait. Le film voudrait ainsi parler de la façon dont chacun s’y prend pour devenir maître de son propre destin. Or, le deux ex machina empêche brutalement le personnage de prendre son envol. Toute la démonstration s’écroule au profit d’un message auquel je ne puis souscrire.

 

L’auteur s’attache à nous dépeindre un monde astreignant qui génère des reclus, des abandonnés sociaux. Pour s’en détacher, la prise de conscience serait le détonateur qui ferait poser un regard plus lucide sur ce monde. A partir de là, l’individu serait capable d’activer son Moi et d’être dans un processus de vie où l’impulsion, le plaisir, le désir, tout ce qui serait organique pourrait avoir libre cours. Mais les Déménageurs Bretons sont là pour lui rappeler qu’on ne peut s’opposer aux règles dictées par la société car tout processus humanisant est un processus létal. Sous cette psychologie rétrograde et idéologiquement judéo-chrétienne, STILL LIFE finit par jouer contre lui-même, sans jamais bâtir ses rêves.

commentaires

T
Pas vu ce film mais pour Eddie Marsan, ça me tenterait bien….
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